Le rapport entre les cultures et la cognition pose des questions complexes dont une approche possible est constituée par la tentative de relier systématiquement les représentations cognitives à des connaissances culturelles diverses. Les connaissances culturelles (en incluant les croyances) sont ici considérées comme des réalités extérieures à l’individu, accessibles à l’appropriation en tant que « mentifacts » (Sorell Huxley, 1975). Ces connaissances culturelles sont des processus dynamiques, adaptatifs, interactifs, normatifs et symboliques, ouverts mais « défensifs », partagés, intégrés et modifiés par les membres d’un groupe d’êtres humains et identifiés comme extérieures par les membres d’autres groupes.
Nous considérons que la nature des connaissances culturelles ainsi que les langues naturelles ou d’autres systèmes symboliques porteurs de ces connaissances (Lock, 1991) vont influencer la manière dont les représentations cognitives se construisent chez l’individu. Nos résultats de recherches menées en diverses cultures montrent, d’une part, que les proportions dans les relations de correspondance entre images, concepts et règles peuvent varier en fonction de la nature des connaissances disponibles, d’autre part la réalité physique (qui est déjà en soi même écologiquement très variée) ainsi que la connaissance culturellement construite sur cette « réalité » vont déterminer les signes et les systèmes de signes des représentations et leur organisation sous-jacente (Lammel, 1998, 2001, 2002, 2005 , 2006).
En accord avec les études de Taghart (1996) nous considérons que la pensée humaine est par nature (inhérente) sociale (donc culturelle) et que l’esprit est un système dynamique est non pas un système computationnel. En conséquence les connaissances culturelles integrées et construites en représentations mentales fontionnent différement selon le contexte. Les résultats de nos recherches nous permettent de distinguer deux niveaux de processus qui contribuent différement à la construction des représentations mentales : (1) Le fonctionnement des processus cognitifs purement internes (discontinus) traitant les connaissances culturelles dans leur objectivité (garder en mémoire, coder, etc.); (2) Le fonctionnement dynamique interactif des processus cognitifs, qui prend en compte les rapports du sujet avec son environnement, dont il fait partie, génére ainsi des interactions avec ses émotions et son corps entier (actions, mise en place des savoir-faire) et active des aspects symboliques des représentations (Lammel, 2004, 2006).
Ces idées trouvent appui dans les résultats actuels des recherches qui tantent de relier le « biologique » avec le « culturel ». Ainsi par exemple Donald (1999) affirme que le cerveau des hominidés peut être ré-configuré (re-configured) par la culture. Avec Dunbar (1996) il soutient qua la culture joue un rôle primordial dans la cognition proprement humaine, qui, comme l’a dit Tomasello (1999), grâce a la culture est dotée d’une puissance spéciale par rapport aux cognitions d’autres primates. L’espèce humaine est génétiquement prédisposée à créer et évoluer dans des cultures symboliques. Donald (1999) propose renverser la relation entre cognition et culture en affirmant que la culture affecte directement la cognition.
Dans notre exposée nous présenterons des exemples concrètes, basées sur nos études réalisées chez les Indiens Totonaques au Mexique, chez les paysans hongrois, les Inuit au Canada, les agriculteurs juifs dans « la Pampa » (Argentine) ainsi que chez les enfants et adolescents de la région parisienne.